Le QI est un sujet régulièrement abordé par les réseaux sociaux et par la presse, tel un bon marronnier. Mais savez-vous qu’il peut être instrumentalisé par l’extrême droite ?
En effet, on peut parfois lire que certaines populations ont un QI plus faible du fait de différences génétiques. Et que l’immigration, ainsi qu’une surnatalité de ces populations, entraînerait alors une diminution du niveau de QI dans les pays occidentaux.
Comment les données issues des études scientifiques sont-elles détournées pour valoriser une mouvance eugéniste encourageant des idéologies racialistes, telles que celles adoptées par le régime nazi?
La fiabilité des études qui comparent les QI nationaux
L’intelligence représente une propriété collective de l’ensemble du système cognitif. De plus, elle est composée d’aptitudes tant innées qu’acquises, et est en perpétuel développement, selon les conditions de vie dans lesquelles une personne se situe. Cependant, l’intelligence étant un concept, elle n’est pas appréhendable telle qu’elle. C’est le QI, lui étant bien réel, qui permet d’estimer l’intelligence.
En effet, un score de QI reflète quant à lui la probabilité d’un sujet d’agir avec intelligence. Il s’agit d’une prédiction statistique calculée sur base de résultats à un test constitué d’un ensemble d’épreuves. On obtient cette mesure en comparant les performances de la personne à celles obtenues par un échantillon représentatif de la population, un étalon de référence, et ce, dans des conditions identiques, selon des procédures standardisées. Le QI étant affecté par de multiples facteurs, la plupart des tests sont adaptés à la culture locale dans chaque pays et mis à jour régulièrement. Les scores obtenus dans un pays ne sont donc pas comparables à ceux obtenus dans un autre pays, puisque ces versions « locales » ne sont pas identiques.
Si les données ne sont pas comparables, comment peut-on alors conclure à une différence de QI entre races humaines ? En se basant sur une étude qui a mélangé des mesures non comparables entre elles et dont la fiabilité est douteuse.
Dans son article « la carte mondiale des QI » , Franck Ramus, chercheur en sciences cognitives, dénonce les procédures de l’étude aboutissant à cette conclusion.
Tout d’abord, les chercheurs ont utilisé des tests supposés « culturellement neutres ». Toutefois, il semble que certaines cultures soient tout de même avantagées par des concepts ou la familiarité avec certains symboles. Cette neutralité est donc à remettre en question.
De plus, ces chercheurs ont mélangé les données de ces tests « culturellement neutres » à celles recueillies suite à l’administration d’autres tests, incluant la mesure d’aspects différents de l’intelligence.
Et enfin, pour les pays pour lesquels ils n’avaient aucunes données, ils ont extrapolé les résultats sur base de pays voisins!
Les conclusions qu’ils en tirent sont donc en réalité fort approximatives.
Par conséquent, les mesures provenant d’un test de QI ne pourront jamais être comparées à celles recueillies par un autre test. Même en utilisant des tests de QI tels que les tests « culture fair » réputés pour leur neutralité, on peut présumer une influence de la culture.
L’évolution du QI dans les pays occidentaux
En 1984, James Flynn observe une élévation du niveau de QI moyen des échantillons de référence lors d’un réétalonnage d’un même test, en comparant les données précédentes avec celles de sa version réactualisée.
Suite à de multiples études, il conclut à une augmentation régulière du niveau d’intelligence générale de la population des pays industrialisés d’environ 0,30 points par an depuis les années 1950. C’est ce qu’on appelle l’effet Flynn.
Selon Jacques Grégoire, Docteur en psychologie et Professeur à l’Université de Louvain, cet effet se manifeste dans nos pays occidentaux en raison de différents facteurs combinés.
Un premier facteur s’avère être le niveau d’éducation de la population, la scolarisation constituant un facteur majeur du développement de l’intelligence de l’enfant.
L’amélioration des conditions bio-environnementales constitue un second facteur, car la nutrition infantile et la prévention des maladies infectieuses influencent l’état de santé global.
Enfin, on note également une augmentation des aptitudes intellectuelles par une plus grande place des technologies dans la vie quotidienne, celles-ci nous obligeant à assimiler de nouvelles procédures qui reposent sur l’apprentissage de représentations symboliques.
un consensus scientifique existe d’ailleurs sur le fait que les QI nationaux sont influencés par des facteurs environnementaux. En aucun cas, on ne peut conclure à une différence de QI entre les peuples qui serait d’origine génétique.
Depuis quelques années, certaines études montrent une inversion de l’effet Flynn (effet Flynn négatif) qui signifierait un déclin du niveau de QI dans les pays plus développés. Chacun y va de son hypothèse : on rapporte une détérioration de la qualité de l’enseignement, de l’alimentation, du support familial dans l’éducation… mais aussi l’immigration, ainsi que la “fertilité dysgénique” (c’est-à-dire une dégradation du patrimoine génétique par une surnatalité des personnes à faible niveau intellectuel).
Pour ceux qui revendiquent une différence de QI entre races, il est simple de faire suivre ces conclusions par d’autres, tout aussi discutables : le niveau de QI des pays occidentaux diminuerait en raison du brassage génétique des peuples.
Or, il semble d’emblée impossible de pouvoir établir qu’un phénomène est “durable” sur une si courte période ! En outre, on peut à nouveau voir que les études qui concluent à un effet Flynn négatif ont utilisé des mesures qui proviennent de tests différents…
Avec la parution de la WISC-V, de nouvelles données ont vu le jour, qui permettent d’infirmer cet effet Flynn négatif. Tout récemment, une étude de Gonthier, Grégoire et Besançon (2021) a mis en évidence que l’intelligence des Français n’a PAS baissé entre 1999 et 2019, si ce n’est aux épreuves d’intelligence cristallisée, mais ce, par un effet de biais des mesures. Dans les nouvelles batteries, l’effet Flynn serait en fait sous-estimé, du fait de l’augmentation du niveau de difficulté des nouvelles épreuves. Cela ne constitue cependant en aucun cas un effet Flynn négatif. Dans sa conclusion, l’étude propose d’ailleurs plusieurs recommandations à garder à l’esprit lors de l’interprétation des résultats, lorsque les tests d’intelligence sont administrés à des sujets de cultures différentes.
Conclusion
Comme dans tout domaine, il est malheureusement simple de détourner des données scientifiques pour valoriser des idéologies qui prônent des différences entre races humaines.
Toutefois, aucune de ces théories mettant le QI au service de l’extrême droite par des différences génétiques de niveau intellectuel entre populations, ne tient réellement la route scientifiquement !
D’ailleurs, les tests de QI ne sont en aucun cas des outils appropriés pour comparer des peuples entre eux, les mesures recueillies n’étant pas comparables d’une culture à l’autre.
D’autre part, l’élévation du QI dans les pays occidentaux objectivée par l’effet Flynn lors de la réactualisation d’un test, est due à l’influence de facteurs contextuels (éducation, nutrition,…). Par conséquent, sa cause est principalement environnementale et non biologique.
Tel que le modélisent les théories actuelles de l’intelligence, les données scientifiques permettent de confirmer que c’est bien au niveau individuel et non d’un peuple entier, que gènes et environnement interagissent ENSEMBLE, dans le développement de l’intelligence : la qualité de l’environnement permet de faire éclore un potentiel génétique individuel biologiquement déterminé.
Notre belle intelligence est donc un phénomène bien complexe qui ne finira pas de si tôt de faire parler de lui !
Bibliographie
Gonthier, C., Grégoire, J., & Besançon, M. (2021). Pas d’effet Flynn négatif en France : pourquoi les variations d’intelligence ne doivent pas être évaluées à l’aide de tests basés sur des connaissances culturelles. Elsevier.
Grégoire, J. (2019). L’examen clinique de l’intelligence de l’enfant : Fondements et pratique du WISC-V. Bruxelles : Mardaga.
Ramus, F. (2019). La carte mondiale des QI – explications complètes. Ramus méninges. Pour la science blogs.